Le papé de La Treille, (4) Fin
Le lendemain, à l'exception du Papé qui marchait mal, nous suivîmes les pas de Maria pour rejoindre le petit fugueur à la rivière. Le chemin était escarpé, et rude et les pierres qui roulaient sous nos semelles n'en facilitaient pas l'ascension. Au bout de trente minutes, la pente commença à s'adoucir puis nous atteignîmes un plateau où la végétation se déchaînait, comme pour se faire pardonner de ne pas pousser plus bas.
Olivier était bien là, détendu et paisible au bord de l'eau et ne s'éloigna pas à notre grande surprise, en nous voyant arriver. Une demi-douzaine de belles truites gisaient près de lui et Maria dit qu'elles accompagneraient le pique-nique.
Les gosses que nous étions ne résistèrent pas longtemps à l'appel de la baignade dans une sorte de piscine enclavée entre de gros rochers arrondis en contre-bas. Nous appelâmes Olivier pour qu'il nous rejoigne, mais il ne sembla pas nous entendre. Maria engagea un long monologue avec lui qu'il écouta en la regardant gravement droit dans les yeux, contrairement à son habitude à la maison où il semblait complètement l' ignorer. Au bout d'un moment, il vint vers elle et pencha rapidement sa tête contre l'épaule de sa mère, ainsi que nous l'avions vu faire avec le papé précédemment.
"Voilà", commenta Maria dans un sourire épanoui: "c'est le miracle de la rivière, le seul endroit où j'ai un contact avec mon fils... "
Maman lui demanda si elle n'avait jamais envisagé de partir s'installer plus confortablement au village, plutôt que de rester dans cet endroit isolé et inhospitalier. "Et Olivier?, répondit-elle, "que deviendrait-il, sauvage comme il est au milieu d'inconnus? Et sa rivière? Tu sais, je crois que sans la rivière, il ne survivrait pas... Tu vois comme il est différent, ici? Et puis lorsque je ne serai plus là, je ne compte pas trop sur ses frères pour s'occuper de lui. Ils vont se marier et faire leurs vies ailleurs, probablement dans un village aux alentours, c'est normal, je ne peux pas leur en vouloir. Mais celui-ci doit rester là. C'est sa vie, son univers à lui. Tu sais quand il fugue plusieurs jours, il est tout à fait capable de trouver de quoi manger dans la nature. Crois-moi, quand il rentre, il n'est pas affamé! Tu n'as qu'à voir les truites... Tu sais comment il les attrape? A la main! Oui, oui, à la main, il la connait comme sa poche sa rivière, mon petit!
Maman hochait la tête, oui, elle comprenait. Maria avait la voix de la sagesse, elle avait raison, et Olivier ne serait heureux nulle part ailleurs qu'ici, même si l'avenir de cet enfant lui semblait bien précaire. Du coup, elle tut ce que mon père et elle envisageaient de lui proposer: d'emmener Olivier à Paris pour le faire voir à des médecins qui peut-être... Ma mère découvrait en écoutant Maria la stupidité du projet. Elle en avait presque honte. Maria acceptait sa vie telle qu'elle était, ce qu'elle avait pris pour de la résignation n'était que sagesse et Maria n'était pas malheureuse.
Pas plus qu'Olivier qui , le jour du départ, tendit à mon père qu'il considérait comme un magicien depuis l'épisode du cadeau, une photo. La rivière y coulait, vive et joyeuse sur les rochers, emmenant dans sa course de petites feuilles dorées par le soleil. Il pointa le doigt sur la médaille que mon père portait toujours au cou.
Nous avions un petit cousin poète.