Mais tu es qui, toi?!
Ils sont arrivés quand on a coupé la demi douzaine de pins, seule source d'ombre du quartier, en vue de construire ce fameux parking ultra moderne qui ne verra finalement pas le jour, c'est décidé, au bout de deux ans de tergiversations. Nichaient-ils avant dans ces arbres inutilement et hâtivement sacrifiés? Je ne sais pas.
Toujours est-il que notre porte cochère s'est soudain animée de va-et-vient empressés et que le compteur électrique situé sous sa voûte s'est couvert petit à petit de brindilles, de plumes, et autres matériaux dignes d'un nid douillet.
J'observe avec intérêt ce remue-ménage sympathique d'années en années. Le nid étant situé assez haut dans un recoin obscur, je n'ai jamais pu faire de photo correcte, pas plus que je ne suis arrivée à tirer le portrait des parents, si petits et si vifs.
Le souci qu'ils m'ont causé, l'année dernière! Le chat errant de la cour les avait repérés. Difficile de croire qu'à cette hauteur il aurait pu en choper un mais...un greffier affamé est capable de bien des prouesses. J'ai passé un weekend complet à descendre le chasser... 3 étages, montés, descendus, dix, vingt, trente fois dans la journée tout de même...Il s'est fatigué avant moi.
Cette année, ce furent des gamins. De pauvres enfants privés d'espace et de divertissements comme à La Courneuve? Non. Des petits qui ont à disposition la mer, le maquis et la montagne, là, à portée de passion, mais qui préfèrent passer l'après-midi assis sur les marches, portables en mains, dans une rue passante et pour tout dire pas très propre. Evidemment, il me fallut user d' un peu plus de diplomatie pour les écarter du lieu que pour le chat. C'est que le temps pressait: les parents attendaient sur le haut du mur de la maison d'en face, larves dodues à souhait au bec, que le passage soit libre pour aller nourrir la nichée. J'hésitais, mais sur le conseil de Copine qui n'a qu'une piètre estime du genre humain, je renonçais à leur expliquer pourquoi je souhaitais qu'ils décampent au plus vite.
"C'est quoi, comme oiseaux?" me demande Copine que je tiens régulièrement au courant de l'évolution et des évènements parfois dramatiques marquant la vie de mes petits protégés (le nid est mal foutu, tout de travers, informe, alors bien sûr, il peut arriver un accident fatal...)
"Sais pas. En tout cas, c'est pas des moineaux."
"....Ils sont comment?"
"ben...sont tous p'tits...en fait je ne les vois que du dessus, par ma fenêtre... Ils se postent en face du nid, s'assurent qu'aucun danger ne survient et ils vont nourrir les petits"
"Sont de quelle couleur?"
"Difficile à dire... sont...gris!...peut-être avec du blanc..."
"Mésanges? Martinets?"
"Avec toute l'amitié que je te porte, tu me prends pour une cerise, Copine, je sais reconnaître les mésanges et les martinets!...Non, ceux-là, ils sont...communs...gris, quoi!"
Copine, perplexe, m'envoie des liens. Je compulse des pages et des pages d'oiseaux divers mais ne retrouve pas les miens. Enfin un jour, je me décide à bien les regarder, depuis la rue, pour en rapporter une description précise:
"Alors, voilà, Copine, j'ai bien regardé. Ils sont bien plus petits que les mésanges, gris foncé sur le dos, gris clair sur le ventre et le dessus de la tête et les ailes (alouette!) sont noires. Pour être plus explicite, leur bec est petit mais effilé, pas comme ceux des moineaux, ils sont fins, c'est à dire qu'ils n'ont pas un petit ventre rebondi comme les mésanges, ils ressemblent un peu aux friquets, et ils ressemblent un peu au rouge-queue, sauf qu'ils n'ont pas la queue rouge....... Alors???"
"...?....Pfutt...!!!" s'exclame Copine qui n'y met aucune bonne volonté.
Il y a quelques jours enfin, j'envoie une bonne nouvelle à Copine: c'était le soir, à l'heure où les passants se font plus rares dans la ruelle. La nuit n'était pas encore complètement tombée et maman oiseau non identifiée a décidé que c'était le bon moment pour un premier vol. Il en a fallu des pépiements, des cris d'encouragements, des vols autour du nid pour les décider, ces paresseux! Et puis enfin, j'ai vu le plus débrouillard se décider. Ce n'était peut-être pas son tout premier vol car il semblait tout à fait à l'aise. Le second, lui, est allé se poser sur une barre d'échafaudage, juste en face de son nid. Prostré. Pépère restait figé en regardant l'univers avec perplexité pendant que la mère s'usait les nerfs pour le faire bouger, tandis que son frère batifolait sur la terrasse d'une maison voisine. Je l'ai observé longtemps et j'ai fini par abandonner, dubitative. Mais le lendemain, en sortant, j'ai vu que les trois oisillons étaient bien rentrés, tous le bec ouvert, piaillant dans leur nid. le dernier ne tarderait certainement pas à s'envoler lui aussi. Deux jours après, en effet, il n'y avait plus personne.
"Ouf, conclut Copine, tout s'est bien passé, ils sont tirés d'affaire. tant mieux, tant mieux!.... Avec tout ça, on ne sait toujours pas ce que c'était, comme oiseaux... mais dans le fond, on s'en fout!"
Depuis, le nid reste abandonné. Il se rétrécie, s'aplatit de jours en jours et ce matin, la société de ménage est passée, a nettoyé les dégâts occasionnés sur le sol et retiré le nid déserté. Ne reste plus qu'une ribambelle de petites feuilles rousses pendouillant encore au compteur, comme un bolduc fripé délaissé après l'ouverture du cadeau.