Suite de Turquoise
Suite de Turquoise
C'était toute une expédition. On répartissait la marmaille dans les trois ou quatre voitures, on s'entassait plus ou moins selon que l'on emmenait ou pas les petits voisins et l'on filait de bon matin avec pique-nique, parasols, pelles et râteaux, 50 kms cap à l'ouest.
Louise adorait les derniers instants avant d'arriver à la plage. Une longue rue que les vents ensablaient comme pour la faire disparaitre qui s'arrêtait devant la dune. A droite, de guingois sur un monticule de sable mangé d'oyats, la maisonnette de "mamie train", amie des parents, qui leur prêtait parfois cette bicoque bricolée de quelques planches de bois, requinquée et rafraîchie chaque année par son fils avec des restes de peinture trouvés sur les chantiers.
Les enfants n'avaient jamais appelé autrement cette très vielle dame dont les tabliers fleuris évoquaient plus les champs bucoliques de la Normandie que les terres landaises arides, car Jeanne avait expliqué pour mettre fin à leurs moqueries, que la courbure des reins agrémentée du postérieur monstrueux - il faut bien dire les choses - de la pauvre femme, était dû au fait que toute sa vie, elle avait poussé la barrière du passage à niveau, qui à l'époque n'était pas équipé d'un système électrique ni même d'un bras qui se levait et se baissait au passage des locomotives.
Et lorsque Louise l'observait marcher dos courbé et les bras en avant, elle pensait que la mamie était vieille au point de pousser encore et toujours, une barrière fantôme et se promettait de ne jamais au grand jamais devenir un jour garde-barrière, sous peine de se voir dotée un jour d'un fessier aussi remarquable.
L'arrivée hurlante et triomphante de la smala écartait les grincheux et les demandeurs de calme dans les minutes qui suivaient. La famille annexait un bout de terrain, les parents sortaient les serviettes tandis que les gosses se jetaient déjà à l'eau. Jeanne et Hugo peu amateurs de sable dans les tomates oeufs durs, en profitaient pour s'éclipser lâchement, laissant la responsabilité de la marmaille aux autres pour aller déguster en amoureux un plateau de fruits de mer cueillis du matin par Mimi et Jean.
Après les premières éclaboussures fraîches des rouleaux qui font crier de surprise et les jeux, Louise s'écartait du groupe. Besoin vital de s'isoler de temps à autres pour savourer le moment, pour suivre ses rêves. Elle avançait dans l'eau de façon à dépasser les vagues pour rejoindre la partie plane de l'eau qui la fascinait. Face au soleil, la nappe irisée l'attirait, Louise la croyait palpable comme une étendue de métal luisant et avançait sans jamais l'atteindre. Instinctivement happée par ce mystère d'eau devenant solide, pensait-elle, elle en cherchait la sensation nouvelle, attendant de l'océan une réponse parmi les révélations les plus étranges de la vie qu'elle découvrait en grandissant.