Suivre la route
Ca a débuté comme ça
On lui a dit de suivre la route
C'était au Carnaval, il se revoit, Arlequin joyeux tout à la fête, la musique, les rires, les volutes de barbes à papa, des cacahuètes dans les poches. Quand la main gantée d'un Scaramouche l'y a propulsé, le manège s'est mis à tourner de plus en plus vite. les visages puis des masques défilaient en accéléré, images infernales de fête grotesque, Capitan cyniques et Matamores hilares, satisfaits de leur farce. Beaucoup furent éjectés brutalement sur l'asphalte rugueuse et lorsqu'il ne resta plus que lui, on arrêta le manège.
Un mort gisait sur le sol.
Un polichinelle dramatique le désigna du doigt, on l'emmena et on lui dit de suivre la route.
Depuis il suit sur la route.
Il en serait ainsi désormais, une longue route droite et sombre au milieu du néant entre deux lignes de craies livides sous un ciel de souffre et d'encre violette.
Suivre la route.
Sans port, sans refuge, sans soif étanchée.
Des rêves hallucinants lui font croire qu'au bout, il trouvera la mer.
Il sent le sable souple sous ses pieds, hume l'air marin enivrant chargé de sel et d'iode salvatrice, il frissonne sous la caresse des algues venues irriguer d' un sang régénéré ses muscles et ses os épuisés. Puis il se tourne et escalade le départ d'un sentier ancien, tracé depuis des temps immémoriaux par le passage des bergers et des bêtes, entre les cistes et les arbousiers. L'ascension est rude, jonchée de pierres instables, de précipices et de roches équarries de soleil blanc.
Au détour d'un roc imposant, la rivière douce et fraîche apparaît en contrebas. Il écoute le rire d'un enfant sortant de l'eau, tout perlé de gouttes scintillantes. Il le voit tendre les bras vers sa mère. Il s'approche un peu, les appelle. Il est trop loin, ni l'enfant ni la femme ne peuvent l'entendre.
Hurlements de sirènes, gyrophares: son pied a frôlé la ligne blanche.
Les images s'estompent....
Suivre la route. Toujours.