Les petites choses
Une tourterelle roucoule de plaisir devant un tas de papier déchiqueté en lanières, abandonné dans une poubelle.
C'est le printemps voyez-vous, la tourterelle, ignorante des tracas des hommes, prépare son nid et s'envole, ravie de l' aubaine, un long ruban blanc dans le bec.
Moment de grâce, les rues sont désertes mais la vie palpite dans les prunus en fleurs, dans les alcôves entre les pierres effritées des vieux murs.
Une vieille dame semble perdue sur la place, il n'est pas huit heures du matin mais déjà elle tient dans sa main le petit bouquet de fleurs et de feuilles qu'elle glane chaque jour dans les jardinières municipales à l'abandon. Un pissenlit, le rose pâle d'un bougainvillier et quelques branches de poivrier. Où sont les autres? Demande t-elle, dîtes-moi, est ce que tout le monde dort? Elle vacille au milieu du vide, comme quelqu'un qui perd l'équilibre et lorsqu'on lui explique la maladie, le confinement, ses yeux s'embuent puis elle hausse les épaules et file, incrédule, à travers les ruelles sombres à la recherche "des autres". Qui oserait l'enfermer de force, sa tête est depuis si longtemps confinée dans les brumes qu'on la laisse déambuler, seule et désemparée.
L'épicier ouvre ses portes. Il est parti bosser sur le continent pendant 20 ans ce qui lui a permis d'acheter son échoppe. Grand sourire mais la rage du désespoir sous l'effort, il empile des packs de boissons et des cageots de légumes plus très frais que personne n'achètera.
La cour est froide, toute grise sans les voitures qui s'y garent habituellement. Quelques rats y font une prudente incursion.
Même la vieille Faustine en a oublié d'ouvrir sa radio à plein tube comme elle le fait chaque jour, histoire de rappeler au quartier qu'il faudrait se réveiller. Un homme a étendu une couverture rouge sur la rambarde écaillée de son balcon. Je reste un moment fascinée par cet éclatant carré de vie suspendu dans le vide.
19 heures, quelques nuages légers dessinent des plumes sur fond de ciel impudiquement bleu.
Une femme applaudit à sa fenêtre pour remercier les soignants qui triment pour nous, je la rejoins, puis une autre personne vient aussi taper dans ses mains, timidement. Petit à petit nous serons plus nombreux. La femme nous remercie, elle travaille aux Urgences, des larmes d'émotion et de fatigue coulent sur ses joues. Nous habitons presque face à face, c'est la première fois que je la vois et la première fois que nous nous parlons. En ouvrant mes persiennes ce matin, j'ai levé les yeux vers sa fenêtre.
Respect madame.
Moment de grâce, les rues sont désertes mais la vie palpite dans les prunus en fleurs, dans les alcôves entre les pierres effritées des vieux murs.
Une vieille dame semble perdue sur la place, il n'est pas huit heures du matin mais déjà elle tient dans sa main le petit bouquet de fleurs et de feuilles qu'elle glane chaque jour dans les jardinières municipales à l'abandon. Un pissenlit, le rose pâle d'un bougainvillier et quelques branches de poivrier. Où sont les autres? Demande t-elle, dîtes-moi, est ce que tout le monde dort? Elle vacille au milieu du vide, comme quelqu'un qui perd l'équilibre et lorsqu'on lui explique la maladie, le confinement, ses yeux s'embuent puis elle hausse les épaules et file, incrédule, à travers les ruelles sombres à la recherche "des autres". Qui oserait l'enfermer de force, sa tête est depuis si longtemps confinée dans les brumes qu'on la laisse déambuler, seule et désemparée.
L'épicier ouvre ses portes. Il est parti bosser sur le continent pendant 20 ans ce qui lui a permis d'acheter son échoppe. Grand sourire mais la rage du désespoir sous l'effort, il empile des packs de boissons et des cageots de légumes plus très frais que personne n'achètera.
La cour est froide, toute grise sans les voitures qui s'y garent habituellement. Quelques rats y font une prudente incursion.
Même la vieille Faustine en a oublié d'ouvrir sa radio à plein tube comme elle le fait chaque jour, histoire de rappeler au quartier qu'il faudrait se réveiller. Un homme a étendu une couverture rouge sur la rambarde écaillée de son balcon. Je reste un moment fascinée par cet éclatant carré de vie suspendu dans le vide.
19 heures, quelques nuages légers dessinent des plumes sur fond de ciel impudiquement bleu.
Une femme applaudit à sa fenêtre pour remercier les soignants qui triment pour nous, je la rejoins, puis une autre personne vient aussi taper dans ses mains, timidement. Petit à petit nous serons plus nombreux. La femme nous remercie, elle travaille aux Urgences, des larmes d'émotion et de fatigue coulent sur ses joues. Nous habitons presque face à face, c'est la première fois que je la vois et la première fois que nous nous parlons. En ouvrant mes persiennes ce matin, j'ai levé les yeux vers sa fenêtre.
Respect madame.