L'endroit bleu
C'est un endroit bleu, battu par les vents, entre deux bras de rochers rouillés couchés dans la mer. On y accède par une route en lacets taillée dans une colline dorée de genêts en crapahutant d'ornières en ornières. Aux rares passages de voitures, de petits veaux tendent leurs museaux tout roses par dessus de courtes haies de lentisques tandis que des chevaux savourent la vie sauvage dans les champs d'asphodèles.
De loin, on aperçoit déjà le golfe, qui disparaît dans un tournant pour pour mieux réapparaître, plus net, plus soyeux, au suivant.
Un petit sentier entre les ronces de mûriers, prolongé d'une pinède fouettée par les brises et n'excédant pas une hauteur d'homme, s'ouvre sur la liberté. Une étendue d'eau infinie, seulement limitée par l'horizon, se décline en saphir troué de flaques turquoises ou en indigo profond scintillant d'étoiles métalliques pour se fondre, là-bas, au bout du monde, dans un ciel ouaté.
On enfonce ses pieds dans un sable blanc pailleté de mica, si fin qu'il colle à la peau. . Au large, l'eau se soulève comme une grosse bête inquiétante et sombre, gronde et arrive par gros wagons de rouleaux successifs écumants de blanche colère pour, achevée leur course, déposer sur le sable de tendres dentelles roses effilochées de poussière corallienne.
Plus haut, vers les terres, des monticules de bois flotté dorment, biscornus, torturés, squelettes de forêts d'outre mer aux légendes perdues, blanchis de sel et de soleil, cadeaux de rivages étrangers qui achèvent leur voyage là, sur un tapis de minuscules vélelles séchées d'un bleu translucide.
Un cordon d'herbe folles, crinières de hordes blondes défiant vents et barrières borde la montagne d'un anthracite dur en surplomb. Comme une réponse aux flancs obscurs, se détache, bien plus haut, l'ombre de sommets plus acérés égarés dans la brume et l'on rêve alors d'antiques châteaux inaccessibles.
Soudain, au large, un lac limpide entrouvre les nuages tandis que le ciel se noircit au-dessus de la plage déserte ou presque: un jeune dieu de la mer au teint de pain d'épices sort de l'eau avec sa planche, fourbu mais heureux, ébrouant des étoiles autour de lui.