Madame Abricot

Publié le par almanito

Madame Abricot a son balcon à dix pas à vol d'oiseau de ma fenêtre. Un tout petit balcon sur lequel elle apparaît soit en robe de chambre, soit en petites robes d'été de couleur invariablement ... abricot. Elle doit tellement aimer cette couleur qu'elle l'a même adoptée en teinture capillaire et avec sa petite frimousse ronde et pâle surmontée de ses cheveux fauves, elle a tout à fait l'air d'un petit abricot qui n'aurait mûri que d'un côté. 
A pas menus et précautionneux,  elle avance vers le fil tendu pour étendre son chiffon de ménage et son linge qu'elle fixe méticuleusement de ses doigts tremblants avec des pinces, puis jette  un oeil dans ma direction et m'envoie un petit coucou de la main.
Madame Abricot est une personne discrète, ce n'est pas elle qui amorcerait une conversation bruyante à travers le quartier comme certaines petites vieilles qui s'engueulent à qui-mieux-mieux toute la matinée de fenêtres en fenêtres. Suivez son regard, elle n'aime pas la cacophonie, encore moins les commérages et médisances.
Alors nous communiquons par gestes. Le menton en l'air signifie "ça va?" et je vous laisse imaginer  avec toutes les nuances de gestuelle des mains et de la tête possibles,  la réponse.
Ainsi je sais si Madame Abricot a trop chaud, ou froid, si elle s'ennuie ou si sa petite-fille est venue la voir.
Un jour elle a ouvert 9 fois ses deux mains puis a rajouté 4 en cachant son pouce. J'ai levé le mien avec une mimique admirative et envoyé un baiser. Joyeux anniversaire Madame Abricot!
En septembre dernier, elle m'a fait voir son bras en écharpe et en secouant vigoureusement sa main valide, m'a fait comprendre combien elle souffrait, j'ai compati en arrondissant ma bouche et en faisant non de la tête, puis pour la consoler,  du doigt lui ai montré les petites fleurs récemment plantées sur le balcon de ses voisins séparé du sien par des canisses et Madame Abricot s'est penchée pour regarder avant de m'adresser un grand sourire.
Cet hiver elle est venue accrocher son linge en s'aidant d'une canne, son pauvre visage tout bleui après une terrible chute et j'ai caché le mien dans mes mains  pour lui faire comprendre que j'avais vu et combien  j'étais triste. Depuis on s'est revues et "parlé" plusieurs fois.
Les jours tristes et les jours joyeux, les sourires, quelques dix années de complicité muette.
On s'aimait bien.
 
Ce matin une jeune femme en débardeur blanc affalée dans un transat, les pieds en l'air reposant sur la rambarde du balcon de Madame Abricot,  piochait dans un sac rempli... d'abricots qu'elle dévorait goulument en écoutant de la musique branchée dans ses tympans...

Je ne verrai plus Madame Abricot, partie vers d'autres vergers...


 

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L
Un gros paquet de tendresse tellement profonde, et vraie.<br /> "J'ai la même" en face de chez moi, qui vit la moitié en Bretagne et l'autre moitié aux USA. Un beau brin de gentillesse, avec laquelle nous n'avons pas, non plus, besoin de parler ...
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A
Parfois quand la complicité est forte les paroles sont inutiles...
L
Ainsi va la vie... <br /> Beau texte qui met en valeur la communication du regard. J'aime beaucoup.
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A
Une histoire sans parole...Merci Laurence.
G
C'est quand même dommage que tu sois à ce point insupportable [c'est toi qui le dis et je me garderai bien d'en douter :o)] parce que sinon tu es vraiment une fille épatante avec de la délicatesse et de la finesse d'observation et du talent et tout. ;o))
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A
Impunité totale pour ce monsieur très protégé...<br /> Rhoo j'en connais un qui ressemble à çuilà que tu dis, qu'est pas ilien mais que j'enverrais bien à Sainte-Hélène tiens!!!
G
Quelle horreur ! Finalement, je comprends mieux que certain îlien dont nous tairons le nom ait préféré se retirer à Sainte-Hélène. ;o)
A
Essaie plutôt ça<br /> http://www.luxe-magazine.com/fr/article/745-le_domaine_de_murtoli_en_corse_le_luxe_de_lauthentique.html<br /> Un mec accapare des kms de côtes, le domaine est clôturé et surveillé 24/24 et si tu t'aventures à prendre des photos on t'accueille avé le fusil. Le rv des flics; ripoux, s'y retrouvent en compagnie de politiques du même acabit arrivés par hélico. 10 000 euros la semaine c'est donné mais le barbeuk de sanglier est en sus.
G
Je n'ose même pas évoquer ça :<br /> <br /> www.lehameaudesaparale.com/u-caseddu-domaine-saparale-hebergement-sartene--6-fr.html<br /> <br /> Ce ne serait pas raisonnable, n'est-ce pas ? ;o)))
A
Mais regardez-le qui cherche à obtenir une boutanche de Saparale çuilà :)))
C
Pauvre madame Abricot ! Mais elle n'est pas partie les mains vides. Elle t'a légué le noyau toujours vivant de son amour de la vie - et son goût des couleurs où le temps se savoure.
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A
C'est vrai, mais je n'irai pas jusqu'à me teindre couleur abricot:)
C
Merci Alma, pour ce beau texte si fin et tendre.
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A
Merci Cardamone :) <br /> Je t'envoie un mail.
C
Un texte à la fin triste mais plein d'émotion, elle devait être bien seule Madame Abricot, mais ces quelques signes rompaient la monotonie de sa vie. Il faut si peu de chose parfois pour rendre une personne heureuse ...<br /> Belle journée, bisous !<br /> Cathy
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F
Merci Alma pour ce beau texte. Le sourire dans le ton, la tendresse, la délicatesse, le jeu de mimes, m’ont beaucoup touchée. J’ai l’impression d’avoir connu une Mme Abricot moi aussi meme si ma mémoire ne veut pas me rendre son visage ni son nom.
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A
Oui, elles sont nombreuses les madame Abricot si seules qui pourtant sont de petits soleils derrière leurs fenêtres. Merci Frog.
P
Ton texte est si plein d’humanité et de tendresse. Oui, c'est la vie, oui, c'est ainsi, les abricots disparaissent aussi puis d'autres naissent. Pour sûr que la remplaçante avec ses écouteurs sur les oreilles ne connaît pas le langage des signes.
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A
Va pourtant falloir qu'elle apprenne parce qu'avec son truc sur la tête elle va devenir sourde :))
E
Mais c'est elle, qui s'est réincarnée !!! Essaie de communiquer avec la jeunette pour vérifier !
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A
D'accord, mais si dans qques jours tu vois sur un blog quelqu'un qui raconte qu'une cinglée qu'elle ne connait pas lui fait des signes, préviens-moi :))
M
Dix PAS, évidemment, ha, ha !
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M
Dix ans à vol d'oiseau, c'est près, c'est loin... Jolie évocation d'une amitié de voisinage et d'un appartement où toujours la vie continue quoi qu'il arrive.
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A
Dix ans à vol d'oiseau, ça nous raccourcirait le temps, je ne suis pas d'accord la vie est déjà assez courte:)))
I
Tu décris si bien ces discours silencieux et si attachants ! C'est difficile de ne pas verser une larme en lisant la fin de ton texte.<br /> Nous avons tous une ou plusieurs Madame "Abricot" dans notre coeur, avec qui nous ne pourrons plus jamais converser ... Ton récit est émouvant et très beau alma.
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I
C'est sûr que la nouvelle locataire des lieux risque d'y mettre de la vie ;)
A
C'est pas triste, c'est la vie, une autre vie, qui est d'ailleurs déjà revenue dans son petit appart :)
L
Tout en traits fins, d'une sensibilité à fleur de mots. Des non-dits, aussi, très parlants ...<br /> J'y reconnais, comme beaucoup sans doute, ma maman, qui aurait eu 97 ans, une grande bouffée de nostalgie m'envahit. Merci Almanito
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A
Merci Loïc, bien sûr nous avons tous une maman ou une madame Abricot dans nos souvenirs...
Q
Je ne sais pas pourquoi mais je me doutais bien que la fin serait triste...<br /> Ce texte est magnifique !<br /> Et oui... il fait monter les larmes aux yeux.<br /> J'aurais eu envie de l'avoir ou de t'avoir pour voisine...
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A
J'ai pourtant essayé d'employer le présent au maximum mais tu as beaucoup d'intuition. <br /> (entre nous je suis une voisine insupportable, j'ai horreur du bruit;) )
D
C'est peut-être ainsi que Madame Abricot à commencé... et à force de manger des abticots elle est devenue la voisine que tu as connu...<br /> La vie est un éternel recommencement.
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A
Oh le joli lapsus, abticots .... veux-tu nous faire comprendre que la pauvre dame mange des asticots maintenant?
E
Oh Alma, je ne sais pas si ton texte si bien écrit est une fiction ou une réalité, mais il m'a fait pleurer.<br /> Maman est de la même année ("elle a ouvert 9 fois ses deux mains puis a rajouté 4 en cachant son pouce") et elle quittera bientôt les P.O. pour venir en Vandée habiter chez moi...
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A
Désolée de te faire pleurer eMmA, tu vas chouchouter ta maman quand elle viendra près de toi, madame Abricot n'avait pas cette chance et était très seule.