Rue des Lilas

Publié le par almanito

‌La petite rue des Lilas s'allongeait paisible entre les villas coquettes, long ruban d'asphalte planté de prunus, un rose un blanc tous les deux mètres,  qui au printemps se couvraient de fleurs que le vent d'avril balayait méchamment avant même que l'on ait le temps d'en profiter. Les carrés gazonnés devant les maisons recevaient alors la tendre jonchée,  seule fantaisie qui dérangeait pour quelques jour leur agencement sévèrement rectiligne.
Des messieurs très sérieux portant costume et gilet taillés dans des étoffes cossues sortaient chaque matin et rentraient de même le soir rejoindre des épouses accomplies, on y rencontrait aussi des personnes vivant de leurs rentes et quelques vieux colonels assez rassis pour être jugés hors service. Pas d'enfants, si ce n'est la petite Charlotte dans son  fauteuil roulant qui s'ennuyait ferme en compagnie d' une tante,  nonne défroquée, tardivement mariée  à magnat des phosphates marocains  dont elle devint veuve au bout de 2 ans seulement. 
Mais ce qui donnait à la rue cette étonnante ambiance feutrée fleurant la naphtaline et la fesse serrée, c'était que ses habitants l'avaient ceinte d'un haut mur de béton qu'on avait peint en blanc et truffé de caméras dont monsieur Norbert, un ancien de Diên Biên Phu était chargé de la maintenance.
Oh je vous entends déjà vous offusquer et vous gausser, un poil ironiques: quelle sorte de gens s'estiment si supérieurs aux autres pour s'enfermer et se préserver ainsi?!
Détrompez-vous, ces gens n'étaient ni méchants ni hautains, ils avaient tout simplement peur et ils aimaient l'ordre et le silence. Un peu comme des cisterciens sans la tonsure si vous voulez.
On sortait peu de l'enceinte à part les hommes d'affaires qui se rendaient à leurs affaires justement, que l'on imagine bien volontiers juteuses à la Bourse de Paris,  et le dimanche où l'on se rendait à la messe de 10h45, ce qui faisait du midi tapant, juste le temps de récupérer le gâteau à la pâtisserie pour rentrer se mettre à table.
Alors me direz-vous, qu'est ce qui pourrait bien froisser le lissé parfait de la soie de la vie de ces gens comme il faut? Hum?
Comme le disait souvent et  le colonel Lambuche qui avait gagné ses galons en Algérie,  sis au six de la rue des Lilas, "C'est la vue du mur qui donne envie au bouc de se gratter"...
Un bouc?! S'exclamaient ces dames, "Mais quelle horrrrrreur!!!" Et les regards d'une délicieuse terreur mêlée d'un intérêt certain s'attardaient sur le mur.
En fait de bouc prurigineux, ce fut un petit garçon tout frisé aux joues brunes qui apparut un beau matin d'été.
Un petit gars tout crasseux et mal nippé avec son falzar tenu par une ficelle à rôti et sa casquette bleue brodée d'étoiles rouges bien trop large pour sa petite tête mais que les oreilles arrêtaient à temps pour laisser paraitre un pur regard d'émeraude. 
On s'étonna tout d'abord et Norbert fut expédié manu militari aux quatre coins du mur pour en inspecter d'éventuelles failles à la loupe, ce qui ne donna aucun résultat. L'enfant apparaissait, il était gentil et rendait même de menus services qu'on ne savait repousser devant le regard hypnotisant qu'il posait alors sur les personnes les plus vindicatives et résolues.
On finit  par s'habituer à sa présence et certains même l'attendaient avec impatience comme le vieil apothicaire aveugle pour qui il lisait le journal et surtout la petite Charlotte qui reprenait de l'appétit parce qu'il la faisait rire en sortant des ballons  et des fleurs de ses manches, et même des ribambelles d'oiseaux de ses oreilles, si bien que le docteur déclara qu'elle pourrait peut-être remarcher un jour si elle continuait à si bien évoluer. (ça sent l'happy end, ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants, mais non!)
Et puis  il ne revint plus. Après plus d'un mois d'absence, les gens de la rue des Lilas décidèrent de se rendre en délégation sur le campement de gitans situé à la sortie de la ville, d'où le petit venait certainement.
Lorsqu'ils y parvinrent les caravanes avaient disparu, ne restaient que les traces de roues dans la boue et tout au fond, assis sur un cageot de bois, un très vieil homme  au regard d'émeraude souleva sa casquette étoilée pour les saluer.





 

Sur une idée commune :
Que peut-il bien se passer dans la petite rue des Lilas, si tranquille?

2 textes, celui de Dominique est à lire ici:

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G
quelle chute !!! qui nous laisse imaginer tant de choses y compris des passages à travers l'espace temps ! chacun y trouve son bonheur!
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A
Sympa d'être vnue jusque là, merci Gibulène :)<br /> Oui l'idée c'était un peu ça, le petit bonhomme et le vieillard sous une même personne (ou saus une même casquette)
M
"fleurant la naphtaline et la fesse serrée" joli. Je me rends compte que tu ne décris pas beaucoup l'environnement dans tes histoires et pourtant je vois ce quartier parfaitement comme j'imagine bien la strette des caïds , le marché et son café dans des larmes de mina. Il faut vraiment que tu trouves un éditeur.
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A
Il faudrait que j'ai le courage de reprendre tous mes textes, quand j'en relis avec le recul j'en vois tous les défauts et il y a du boulot. Peut-être qu'un jour je les mettrai sur Calameo mais c'est tout. Si le coeur t'en dit, va voir l'écriture perlée d'Emma, ses textes sont de petits bijoux: http://eperluette.over-blog.com/article-inauguration-113368681.html<br /> Ceci dit tes appréciations sont de vrais encouragements, merci.
Q
Que te dire sinon que j'adore ce petit prince au regard émeraude ?<br /> Le même que le vieillard qui porte la même casquette...<br /> J'ai un moment pensé qu'il leur avait fallu beaucoup de temps pour se mettre à la recherche de l'enfant qui avait transformé leur vie et le regard qu'ils portaient sur autrui.<br /> Merci pour cette page.<br /> Bises et douce journée.
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A
C'était peut-être son regard d'enfant que ce vieux leur envoyait...
E
monsieur Norbert pour garder le ghetto des gens comme il faut, est ce bien raisonnable, ce ne doit pas être un poulet de la veille, la preuve, il laisse passer un gentil gavroche exotique qui a des yeux d'émeraude (as tu pensé à l'Afghane aux yeux vertes du national geographic ? ) et des pouvoirs de guérisseur... une belle histoire !
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A
Non j'ai pensé à quelqu'un que je connaissais: la peau pain d'épice et des yeux incroyablement verts!
M
Ce petit gars me fait penser au petit prince, je ne sais pourquoi. Il remue les consciences, existe t-il vraiment ?
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A
Bien sûr qu'il existe!
I
Je suis en train de relire Globalia, ton texte m'y fait penser, vivre dans une "bulle" en évitant les "non- zones".
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A
Saine lecture, faudra que je le lise un de ces jours..
L
Ce style coulant, ces images cinématographiques, pour cette galerie de portraits ... J'adore !<br /> Et puis : "quelques vieux colonels assez rassis pour être jugés hors service" : superbe !<br /> Vian, Prévert ? non, Almanito !
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A
Merci Loïc de La Fontaine;)
C
sis au six de la rue des Lilas .....c'est bien trouvé.<br /> Ta description de cette vie bourgeoise aseptisée me fait beaucoup penser à un film que j'adore "Mon oncle " de Tati. Est-ce que tu le connais ?<br /> Les murs n'empêchent rien hélas, surtout pas la vie. On risque bien moins en laissant tout ouvert qu'en se barricadant et en se murant.<br /> <br /> C'est la vue du mur qui donne envie au bouc de se gratter"...ça c'est bien trouvé aussi.
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A
L'histoire du bouc c'est un proverbe algérien et oui je connais Mon Oncle et je suis une inconditionnelle de Tati! :)
P
Il y a de la magie dans ce regard passe-muraille. Et les murs finalement ne sont pas si solides, si la peur les construit, le cœur les détruit. Le vieil homme est sans doute un de ces passeurs d'âme qui rend aux murés un iota d'humanité.
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A
Je suis persuadée que c'est la peur qui construit les haines et les murs, la peur et l'ignorance.
P
Vivre ou ne pas vivre. Ou vivre en dehors de tout. On partage avec toi ce plaisir de vivre dans cette rue et petit à petit on regarde les personnages plus curieux les uns que les autres... et ce mur ! On a mis le temps de prendre cette décision d'aller voir ce qu'était devenu ce gamin, non ? Toute une vie à perdre son temps. Joli texte, tu sais, que tu as intitulé "Rue des Lilas".
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A
Merci Patchcat, je viens de me régaler chez toi;)
D
Un ancien d'Algérie, un ancien de Dien Bien Phu, un mur... et tu appelles ça une petite rue tranquille ? Mais on est à la frontière du Mexique, là ! Heureusement qu'il y a un gentil petit passe-muraille ! J'aime bien ce genre de chute aux histoires...
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A
La chute est en décalage par rapport au début, j'ai bien ramé;)