L'intruse
Elle était rentrée par la fenêtre un soir de juin je crois. Il faisait déjà chaud et timide, elle avait dû rester cachée dans les rideaux la première nuit.
Au début elle n'était pas bien grosse, tout juste la taille d'un moustique, et de surcroît elle était plutôt mignonne et drôle, c'est pourquoi je ne m'étais pas méfiée.
Elle aimait particulièrement le canapé et le lit mais comme au fil des jours notre amitié se consolidait, elle s'enhardissait jusqu'à venir me faire des grâces dans la cuisine ou sur la table à repasser, voire même sur mon lieu de travail. Je cédais devant son minois charmant et enjôleur, elle avait une façon craquante de pencher la tête et de se trémousser qui aurait fait craquer les plus endurcis.
Je ne comptait plus les heures délicieuses passées à la câliner pelotonnée sur mes genoux qu'elle partageait avec le chat, lui-même conquis par nature, me direz-vous. Il faut dire qu'ils y trouvaient largement la place avec les quelques kilos en trop qui m'empâtaient depuis l'arrivée de la douce créature.
Des amis m'appelaient: "tu viens te baigner? au cinéma? te balader?"
Je répondais invariablement: "non, je ne peux pas... j'ai la flemme" sur le ton faussement désolé que l'on prend pour dire "non, je ne peux pas, j'ai de la famille à la maison". Beaucoup n'insistaient pas, d'autres venaient se rendre compte sur place:
"Mon dieu qu'elle est grosse! Tu la nourris beaucoup trop elle va devenir obèse, toi même tu as grossi, fais donc quelque chose, vire-la!"
Les conseillers ne sont pas les payeurs, j'assumais et répondais que je gérais très bien la situation en enroulant autour de mon doigt gauche le gentil poil qui me poussait au creux de la main droite et m'empressais de me débarrasser des gêneurs pour vite retourner me lover dans le canapé.
Seul le chat me sortait de ma torpeur en réclamant à heure fixe son repas. Si le reste du temps il se montrait fort coopératif étant lui-même enclin à une certaine indolence, son repas était la condition sine qua non pour qu'il resta à mes côtés. Mes écarts de langages à son égard tout comme mes manquements le transformèrent, lui, doux greffier angélique au nez rose, en un félin féroce. Et lorsque ma flemme chérie reçut un cruel coup de griffe accompagné d'un feulement à faire fuir le régiment de rats pourtant aguerris qui squattent la cave, elle se rétracta, blessée, se dégonfla en quelques secondes et fila par là où elle était rentrée au printemps sans un adieu.