Salle d'attente

Publié le par almanito





On m'avait indiqué la salle d'attente, "au fond du couloir à gauche puis devant la machine à café descendre 4 marches et au fond à gauche encore".
Une dizaine de personnes s'entassait déjà entre les courants d'air de cet îlot de verre fragile donnant sur la piste d'où partent et reviennent les secours en hélico, chacun  guettant la porte battante maculées de traces de doigts sales dans l'espoir d'avoir des nouvelles de son  malade.
Je n'étais pas inquiète pour le mien qui n'avait qu'un petit bobo au gros orteil suite à une colère qui l'avait inconsidérément conduit  à envoyer un coup de pied dans une caisse contenant des boules de pétanque qu'il avait préalablement eu la flemme de ranger quelques heures plus tôt. J'avais juste tiqué quand le carabin avait parlé de réduction de fracture,  surtout qu'il était affublé d'une magnifique coiffe d'indien, ce qui me parut normal quand  j'appris plus tard qu' une fête était donnée dans le service pour célébrer le futur déménagement de ce vieil l'hôpital délabré dans un lieu tout neuf, propre et moderne. Et de toutes façons, pourquoi me serais-je inquiétée: la coiffe n'était pas celle coutumière  aux Jivaro, mais vous savez ce que c'est, quand on est inquiet, on ne réfléchit plus aux détails qui pourtant ont leur importance.
A chaque fois qu'un hélicoptère atterrissait pour déposer un accidenté, les gens se levaient pour observer le débarquement du nouvel estropié et parfois même en profitaient, quand cela en valait la peine, pour tirer quelques clichés qui feraient sensation sur fb. A l'horizon on voyait des nuages de fleurs de prunus blanc s'envoler dans un ciel pareillement blanc, ce qui n'avait aucun effet visuel, mais  on était en droit  de les imaginer roses sur un ciel bleu...
La dame toute pâle avec des cheveux jaunes qui s'était rapprochée d'un rude gaillard vêtu d'une tenue de camouflage qui lui expliquait le maniement de son smartphone, s'extasiait de sa maîtrise et sa science, tandis que la compagne de celui-ci, petite femme fraîchement permanentée et stretchée de faux cuir rajoutait  nerveusement du rouge à ses lèvres. Lorsque la filasse jaune fut quasiment sur les genoux de son compagnon, elle se leva brutalement et disparut. Lorsqu'elle revint, le couple n'était plus là et toute l'assemblée se regarda d'un air interrogateur car aucun de nous ne les avait vus partir. La dame s'assit à nouveau parmi nous et continua à se peinturlurer la bouche jusqu'à ce que celle-ci ressemble à un gros bifteck sanguinolent mais en y réfléchissant, c'était peut-être les larmes qui faisaient ruisseler le rouge.
Un homme d'aspect sportif et sain malgré le rire qui le secouait périodiquement se leva, s'approcha de bouche rouge, sortit un beau mouchoir bien propre de sa poche et tenta gentiment d'essuyer les dégâts dans un bruit de cliquetis qui lui déclenchèrent un nouvel accès de rire. C'était un photographe animalier dont la main avait gelé lors d'une expédition en Himalaya, main qu'on lui avait remplacée par une superbe prothèse en titane dernier cri, si performante  qu'il la préférait à l'ancienne, si ce n'est cet inconvénient qui  apparut lors de son dernier voyage dans l'est asiatique: l'humidité avait rouillé la prothèse, et le cliquetis lui avait fait rater tous ses clichés. Le choc et la déception avait déclenché ce rire et depuis, Tony Truant était soigné en HP. Triste histoire, la salle baissait la tête, chacun retournait à ses pensées, certains se dirent que leur sort n'était pas si cruel face à celui de ce pauvre gars.
C'est à ce moment là que la porte battante s'ouvrit brutalement au passage d'une chenille endiablée, médecins, infirmières et aides-soignants, tout le staff déambulait, grimé et joyeusement coloré, portant des malades dont on avait peint les plâtres de couleurs pimpantes. Grandiose, mieux que le carnaval de Nice! Mais soudain un hélico approcha, et tous se ruèrent sur la piste, oubliant champagne et cotillons pour porter secours en valeureux professionnels. C'était très beau mais enfin, la nuit commençait à tomber et je décidai de rentrer car après tout, mon homme pouvait très bien se passer de moi pour se faire réduire. C'est en reprenant mon sac que j'ai vu la porte de l'armoire du couloir s'ouvrir..
Méli et Mélo, les deux petits robots bleus qui, faute de personnel,  font les animations pour les vieux dans le service "longue durée", en sortaient  en rajustant leurs vêtements. Ils gloussèrent bêtement de gêne à mon passage.
Et ce melon que tu devais insérer dans ton texte, me direz-vous? Eh bien non, il n'y avait pas de melon, tout juste des cerises sur mon chapeau, car voyez-vous, ce n'est pas encore la saison des melons.


 

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P
Toute une ambiance à la Kafka. L'absurdité de ce monde des urgences, et encore pas de bagarres! Pour le melon, tu t'es quand même bien débrouillée. haha!
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A
Rhooo tu imagines, j'avais fini et voilà que je me retrouvais avec un melon en trop...:)))
M
Dans tout cet univers surréaliste quoique rigolo, je me console de voir que les deux robots ont quand même une parcelle d'humanité :)
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A
Ha ha! en effet!
F
J'adore ton univers, toujours baroque, inattendu, ça donne de l'oxygène !
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A
C'est l'air du maquis corse;)
I
J'aimerais te rencontrer dans une salle d'attente :-) <br /> <br /> Au lieu de voir les gens penchés sur leur smartphone, tu me décrirais avec humour les personnes qui défilent.<br /> Tu es vraiment douée Alma, tes textes sont toujours ingénieux. Celui-ci est drôle dans la description des personnages et tant pis pour le melon, c'est un plaisir de te lire !
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A
Ok mais alors dans une salle d'attente de gare ou d'aéroport, hein, pas dans un hôpital!<br /> Merci Katia :)
A
C'est un récit basé sur l'attente. Une attente anxieuse, troublée par la fête carnavalesque du personnel, l'arrivage, spectaculaire, des nouveaux malades, le couple, qui n'en est pas un, le photographe animalier, ainsi que par les deux robots. <br /> Il y a de l'ironie dans ce texte, contre-balancée par une attention, une bienveillance particulière, en un mot, une humanité donnée à ces personnages.
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A
Il ne faut pas trop prendre ce texte au sérieux Antoine, c'est juste une rigolade ;)
C
Il m'est arrivé d'être hospitalisée sous sa piste d'atterrissage, et, dans le service, tous écoutaient en silence le vacarme si angoissant de son arrivée. Maintenant, il passe parfois au-dessus de mon jardin, l'hélico jaune de notre CHU. J'ai toujours une pensée pour les malheureux qu'il transporte et dont la vie risque d'être en effet à jamais "réduite". <br /> Larmes et rires se mêlent dans ton récit au sang des blessés et des baisers perdus de rouge (à lèvres).<br /> Et ces robots grotesques préfigurent sans doute aussi notre avenir "réduit" dans les "hopsices" de demain.
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A
Il passe aussi au-dessus de chez moi, cet hélico, indispensable pour aller chercher les malades ou les accidentés dans ce pays de montagne, et l'été on l'entend facilement une dizaine de fois par jour. Les robots sont effectivement présents dans certaines unités...Quelle honte...
M
Début de film catastrophe ou d'invasion zombiesque on s'attend à voir surgir un melon pesticidé qui va contaminer la planète.
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A
ben non... En fait je l'ai oublié, le melon:)))